Les transferts d’armes vers l’Egypte sont censés être suspendus depuis août 2013. Les violences commises à plusieurs reprises contre des manifestants à l’aide de ces armes ont justifié cette décision. Pourtant les transferts continuent.
Près de trois ans se sont écoulés depuis les tueries qui ont poussé l'UE à demander à ses États membres de suspendre leurs transferts d'armes vers l'Égypte, et la situation des droits humains s'est encore dégradée. Les forces de sécurité continuent de mener une répression interne, et elles agissent quasiment en toute impunité. Le recours excessif à la force, les arrestations arbitraires massives, la torture et les disparitions forcées font à présent partie du mode opératoire des forces de sécurité.
Les pays de l'UE qui transfèrent des armes et des équipements pour le maintien de l'ordre aux forces égyptiennes qui se livrent à des disparitions forcées, à la torture et à des arrestations arbitraires de façon massive, agissent de façon irresponsable.
Les pays de l'UE qui fournissent des armes à l'Égypte depuis 2013 :
Allemagne, Bulgarie, Chypre, Espagne, Hongrie, Italie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie.
En 2014, des États membres de l'UE ont octroyé 290 licences d'exportation vers l'Égypte d'équipements militaires pour un total de plus de 6 milliards d'euros (6,77 milliards de dollars des États-Unis). Les articles concernés comprenaient des armes légères et de petit calibre ainsi que des munitions, des véhicules blindés, des hélicoptères militaires, des armes lourdes destinés aux opérations militaires et de lutte contre le terrorisme, et de la technologie de surveillance.
Répression violente de la dissidence
Parmi les principaux fournisseurs d'armes utilisées en Égypte pour de la répression interne, la France figure en bonne place : elle a émis des licences d’exportation pour des biens représentant un montant de plus de 100 millions d'euros en 2014 et entrant dans la catégorie « bombes, torpilles, roquettes, missiles et autres engins explosifs » et « véhicules terrestres et leurs composants ». Elle a aussi exporté plus de 100 camions Sherpa, recommandés par le constructeur pour les forces de sécurité
Selon Privacy International, des entreprises de plusieurs pays de l'UE, dont l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni, ont également fourni aux autorités égyptiennes des technologies ou des équipements sophistiqués destinés à être utilisés pour la surveillance exercée par l'État, et nous craignons que ces équipements ne soient utilisés pour réprimer la dissidence pacifique et pour violer le droit au respect de la vie privée.
Au cours des dernières années, les autorités égyptiennes ont mené une répression sous le prétexte de rétablir la stabilité dans le pays après la destitution par l'armée du président Mohammed Morsi en juillet 2013. Elles ont utilisé des méthodes brutales, notamment en recourant à une force excessive et arbitraire avec des armes à feu, des véhicules blindés et d'autres équipements, qui ont causé l'homicide illégal de centaines de manifestants. Des milliers de personnes ont aussi été arrêtées et jugées dans le cadre de procès collectifs manifestement iniques. Des détenus signalent souvent des actes de torture et d’autres mauvais traitements.
La Loi de 2013 relative aux manifestations permet aux forces de sécurité de réagir de façon « proportionnée » quand des manifestants utilisent des armes à feu, afin de protéger la vie, l’argent et les biens d’autrui – mais cette disposition est interprétée d'une manière qui viole les normes internationales qui permettent aux forces de sécurité d'utiliser une force meurtrière qu'en cas de risque imminent de mort ou de blessure grave.
La repression ne cesse de croite en Egypte. Ici, un membre des forces de l'ordre équipé d'un fusil à pompe française © Getty Image
L'Europe facilite la répression
Des membres armés des forces de sécurité ont également procédé à des arrestations massives de personnes qui critiquaient le gouvernement et d'opposants politiques. Près de 12 000 personnes ont été arrêtées parce qu'elles étaient soupçonnées de « terrorisme » au cours des seuls 10 premiers mois de l'année 2015, selon un responsable du ministère de l'Intérieur cité par la presse égyptienne
Au cours de l'an dernier, le pays a connu une vague de disparitions forcées : des centaines de personnes ont été enlevées par des membres armés des forces de sécurité. Ces personnes sont maintenues en détention au secret de façon prolongée, sans qu'elles puissent communiquer avec leur famille ou avec un avocat, et torturées par des agents des forces de sécurité qui tentent de leur faire « avouer » des infractions liées au terrorisme.
Alors que les informations qui ont été réunies montrent que de nombreux États de l'UE n'ont pour ainsi dire tenu aucun compte de l'appel lancé en 2013 pour une suspension des transferts d'armes utilisées pour la « répression interne » en Égypte, il est à craindre que les prochaines négociations ne débouchent sur un nouvel assouplissement voire une suppression de cette suspension. Cela fait suite à la décision prise l'an dernier par les États-Unis de relancer son aide militaire à l'Égypte pour un montant annuel de 1,3 milliard de dollars.
Le fait de fournir des armes qui vont probablement faciliter la répression interne en Égypte est contraire aux dispositions du Traité sur le commerce des armes, auquel tous les États de l'UE sont parties, et bafoue la position commune de l’UE sur les exportations d’armes.
L'UE doit immédiatement imposer un embargo sur tous les transferts des types d'armes et d'équipements utilisés en Égypte pour commettre de graves violations des droits humains. L'UE et ses membres doivent cesser de récompenser le comportement déplorable de la police et de l'armée égyptienne en leur fournissant des armes.
Un manque flagrant de transparence
La France souffre d’un manque sérieux de transparence officielle sur ses ventes d’armes (en dehors des grands contrats médiatisés), il est donc difficile de s’assurer qu’elle respecte ses engagements internationaux.
Sur plus de 15 millions d’euros de munitions livrés par la France sur la période 2013-2014, il est ainsi impossible de connaître le détail des livraisons et de savoir si elles ont pu servir à une répression. Le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, publié chaque année par le ministère de la Défense, dont sont tirés ces chiffres sur les munitions, se limite en bonne partie à fournir des informations financières. Amnesty International et d’autres ONG sont mobilisées pour que ce rapport fournisse une information exhaustive, détaillée et actualisée Pour qu’il en soit ainsi, il devrait prendre en compte d’ailleurs certains matériels de maintien de l’ordre (gaz lacrymogène, munitions gomme-cogne…) qui échappent à son périmètre car ne relevant pas du régime des exportations de matériels de guerre. De ce fait leurs transferts sont encore plus opaques.
D’autres matériels ont été livrés par la France, selon le Registre des Nations unies sur les armes classiques. En 2012 la France a livré 18 véhicules de combat, 96 en 2013. Il s’agit de véhicules tactiques et blindés légers 4X4 de la famille Sherpa. En août 2013, alors qu’Amnesty International dénonçait la force meurtrière excessive et injustifiée employée contre des manifestants et des passants, elle avait constaté qu’un grand nombre de ces véhicules étaient utilisés pour transporter des policiers et des militaires. Déjà, le 9 octobre 2011, plusieurs manifestants avaient été tués au Caire lorsque des véhicules de transport de troupes égyptiens s’étaient élancés de façon irresponsable et à toute allure sur des manifestants, coptes pour la plupart, pour tenter de les disperser. En 2014, la France a pourtant livré 77 véhicules tactiques (sans que leur dénomination ne soit connue). La France a par ailleurs livré depuis 2012 plusieurs dizaines de véhicules de maintien de l'ordre, des MIDS produits par Renault Trucks Defense (voir photo illustrant la page).
La France... leader de la coopération
Le Partenariat Euro-méditerranéen, liant l’Union européenne et plusieurs pays de la Méditerranée (Algérie, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Tunisie et Égypte), a instauré le projet EUROMED-POLICE. Il vise à renforcer la coopération policière avec un volet sur la lutte contre le terrorisme. De septembre 2011 à fin 2014, la troisième édition de ce projet a été conduite par CIVIPOL, la société de conseil et de service du ministère de l’Intérieur qui propose en France et à l’étranger, des prestations de service touchant à la sécurité intérieure. Parmi la dizaine de thèmes couverts figure entre autre : la formation des forces de sécurité au recours à la force, aux armes non létales et au management. L’un des séminaires conduit en 2013 s’achève ainsi : « Les conclusions ont rappelé́ la nécessité d’une relation étroite avec les citoyens, de l’exemplarité́ du comportement de ces forces, du rôle clef de la hiérarchie, d’une collaboration étroite avec les services judiciaires, d’un emploi mesuré et encadré de l’usage de la force. »
À l’occasion de la visite de François Hollande en Égypte, Amnesty International renouvelle son appel à la France pour qu’elle suspende ses transferts d’armes (armes, munitions, véhicules blindés, matériel de maintien de l’ordre,…) à destination de l’Égypte tant que des soupçons existent sur l’utilisation de ces armes pour commettre des violations des droits humains.
Au-delà de la France, tous les États doivent maintenir cette suspension tant que des mesures appropriées n’auront pas été mises en œuvre par les autorités égyptiennes afin d’empêcher que les forces de sécurité ne commettent de nouvelles violations du droit international relatives aux droits humains lorsqu’elles encadrent des manifestations.