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Ma sœur a été victime de disparition forcée aux mains de l’armée colombienne

Yanette Bautista n’avait que 27 ans lorsque sa sœur Nydia a été victime d’une disparition forcée, en 1987. Trois ans après, Yanette a retrouvé les restes de Nydia – elle avait été tuée par des représentants de l’État et le lieu où se trouvait son corps avait été caché à sa famille. C’était la première fois qu’elle entendait parler des disparitions forcées, qui étaient endémiques à l’époque en Colombie et le restent encore. Quelque 200 000 personnes auraient été soumises à une disparition forcée entre 1985 et 2016 selon le rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation, publié en 2022.

Depuis la disparition forcée de sa sœur, Yanette, aujourd’hui âgée de 66 ans, a consacré sa vie à aider les femmes colombiennes à rechercher leurs proches sans avoir peur. Elle a créé sa propre organisation, qui est à l’origine d’une nouvelle loi adoptée en 2024 visant à mieux protéger les femmes à la recherche de personnes disparues.

Elle raconte ici son histoire incroyable, qui s’étend sur trois décennies…

J’ai trouvé ma sœur trois ans après son enlèvement et sa disparition forcée. J’ai su tout de suite que c’était elle. Elle portait les mêmes vêtements que le jour de sa disparition. C’était un jour de fête, celui de la première communion de nos enfants. Quand nous avons trouvé Nydia, elle portait encore la robe et la veste que je lui avais prêtées. La seule chose qui manquait était ses sous-vêtements. Il n’y avait aucune raison pour que ses sous-vêtements ne soient pas sur elle. J’ai dû supplier les autorités de restituer son corps. J’ai même menacé d’entamer une grève de la faim. Lorsqu’elles ont fini par accepter de me rendre le corps de Nydia, elles me l’ont remis dans un sac poubelle.

Ma sœur a été soumise à une disparition forcée quand j’avais 27 ans. À l’époque, je ne savais pas que les disparitions forcées existaient. J’étudiais l’économie à l’université. Nous savions qu’elle faisait partie d’un groupe de guérilla d’opposition, le M-19, qui a signé un accord de paix et qui est devenu un parti politique légal quelques années après. Nous pensions que le pire qui pouvait lui arriver était d’être envoyée en prison par un juge pour ses activités politiques. Ça a été un choc d’apprendre que nous vivions dans un pays où les droits humains étaient énormément bafoués. Si on soutenait l’opposition, on payait pour ça. C’était une situation de désespoir et de confusion.

Mon père et moi avons commencé à la chercher ensemble – nous nous sommes rendus dans des hôpitaux, auprès de brigades militaires, du service de renseignement de la police, de la police secrète et dans les prisons pour voir ce qui pouvait s’être passé. C’était dangereux dès le début, car j’ai alors été menacée de nombreuses fois pour avoir simplement demandé à la voir. J’ai fini par être déplacée de force. J’ai quitté mon domicile, envoyé mes enfants vivre ailleurs et déménagé dans un autre lieu. Je n’ai pas tardé à recevoir des appels anonymes. Une fois, quelqu’un m’a dit : « Ne la cherche pas, elle va bien. » Ce n’était pas un appel rassurant, et je savais que je devais continuer à chercher.

Yanette Bautista stands among a group of women as the sun sets in Colombia
Yanette Bautista est la fondatrice de la Fondation Nydia Erika Bautista, créée pour lutter contre l’impunité dont font l’objet les disparitions forcées en Colombie.

J’ai demandé de l’aide au Comité de solidarité avec les prisonniers politiques (CSPP), une ONG colombienne, et nous avons bénéficié d’une assistance juridique. L’Association des familles de détenus-disparus (ASFADDES) nous a également donné des conseils. Pendant que je cherchais ma sœur, j’ai commencé à travailler avec d’autres familles et j’ai fini par entrer en contact avec l’Inspecteur pour les droits humains de Colombie – il était déterminé à nous aider. Il a réussi à trouver un témoin qui disait savoir où était Nydia. À ce moment-là, je n’avais plus d’espoir de la retrouver vivante. J’avais fini par comprendre que les personnes à la recherche de leurs proches disparus cherchaient des gens qui avaient été assassinés.

Une enquête a été ouverte, et le célèbre avocat Eduardo Umaña s’est chargé du dossier. J’ai appris que le témoin était membre de l’armée colombienne. Il voulait faire des aveux et a déclaré que Nydia avait été assassinée et était enterrée dans une commune rurale près de Bogotá. Ensemble, avec l’inspecteur, les experts médicolégaux et notre avocat, nous avons exhumé le corps. J’ai tout de suite su que c’était elle, même si elle avait été enterrée anonymement.

Changement de vie

Après la disparition de Nydia, ma vie a changé. J’étais secrétaire de direction auprès d’un grand chef d’entreprise, mais j’ai eu un sentiment de fausseté lorsque j’ai commencé à la chercher. C’était devenu impossible pour moi de rester dans cette bulle alors que des gens étaient victimes de disparition forcée. C’est pourquoi j’ai changé de vie pour pouvoir commencer à chercher.

Après la disparition de ma sœur, ma vie a changé. C’est pourquoi j’ai changé de vie pour pouvoir commencer à chercher.

Yanette Baustista

Même si nous avions retrouvé le corps de Nydia, nous n’avons jamais obtenu la justice que nous méritons. L’Inspecteur pour les droits humains a sanctionné un général et quatre autres officiers de l’armée en 1995 – une première dans notre pays. Cependant, deux mois après, il a dû fuir car il a commencé à recevoir des menaces. À ce moment-là, j’appelais à un changement de la législation, je parlais ouvertement de l’armée… et j’étais enceinte de huit mois. J’étais constamment sous surveillance. Finalement, les quatre hommes sanctionnés ont été libérés, alors qu’il était évident que c’était l’armée qui commettait ces crimes.

C’est devenu trop dangereux pour moi de rester en Colombie. À l’issue d’un voyage en Allemagne, je n’ai tout simplement pas pu rentrer chez moi. En 1997, j’ai été contrainte à m’exiler pendant sept ans. Pendant cette période, j’ai travaillé pour Amnesty International, en menant des recherches et en rédigeant des rapports sur les violences faites aux femmes. Je suis aussi devenue présidente de la Fédération latino-américaine d’associations de familles de détenus-disparus (FEDEFAM), qui travaille avec des proches de victimes de disparition forcée dans différents pays.

Retour au pays

Quand je suis enfin revenue en Colombie en 2007, j’ai créé ma propre organisation. J’avais rencontré des personnes originaires des Philippines, d’Albanie, du Kosovo, de Turquie. Nous avions tant de connaissances en commun. Je voulais donner aux familles les moyens de chercher leurs proches disparus, alors, avec un petit groupe de familles, nous avons créé notre organisation dans mon salon.

Notre collectif, la Fondation Nydia Erika Bautista, a pour objectif d’aider les femmes à s’entraider. Il n’y a pas de hiérarchie. C’est un échange de connaissances. Nous fournissons une aide juridique, nous rassemblons des informations sur des cas et faisons un travail de plaidoyer. Nous proposons des formations au leadership pour donner les moyens d’agir aux femmes qui cherchent leurs proches dans différentes régions du pays. Nous travaillons dans huit régions de Colombie et nous soutenons actuellement 519 cas.

Notre collectif est composé principalement de femmes – nos recherches ont révélé que 95 % des personnes à la recherche d’un proche sont des femmes – ce sont des mères, des sœurs et des épouses. Dans une société patriarcale, c’est une tâche qui incombe aux aidant·e·s. Mais pour moi, nous sommes plus que des aidant·e·s. Lorsque des femmes commencent à chercher un proche, nous devenons des défenseur·e·s des droits humains ; en menant nos recherches sans peur, nous défions les règles du silence et de l’oppression imposées par ceux qui ont soumis nos proches à une disparition forcée, et nous finissons par défendre les droits de tout le monde.

Yanette dirige un atelier avec des chercheuses à Bogotá, Colombie.

Les femmes qui cherchent un proche sont incroyablement courageuses, en dépit de l’absence de soutien des autorités et de volonté politique pour enquêter sur ces crimes. En effet, la disparition forcée n’est pas considérée comme un crime – elle est banalisée et parfois même justifiée par les autorités colombiennes.

Prochaines étapes

En tant que collectif, nous voulons transformer notre douleur en droits. C’est pourquoi nous avons rédigé une loi en vue de donner les moyens d’agir aux femmes qui cherchent les victimes de disparition forcée et promouvoir les droits de ces femmes. Elle a été promulguée en 2024.

Néanmoins, notre prochain objectif est de nous assurer qu’elle soit appliquée et qu’elle devienne une réalité. Nous avons de nombreux alliés qui nous soutiennent, dont Amnesty International, et cela nous stimule chaque jour.

Bien que j’aie de l’espoir pour la suite, mener campagne pour cette loi suscite de la peur. Pendant que je continue d’appeler au changement, les disparitions forcées se poursuivent, des femmes qui cherchent un proche subissent des violences et nos fonds s’amenuisent – ce qui rend notre travail encore plus difficile.

Cependant, dans mes moments les plus sombres, je repense à Nydia. Nydia rêvait d’une armée de femmes, qui étaient armées de leur voix, et non pas de fusils. Je suis déterminée à poursuivre son rêve, afin que les femmes puissent chercher un proche sans crainte de subir des violences ou de ne pas pouvoir nourrir leur famille, pour qu’elles puissent le faire en toute liberté et dans la dignité.

Cet article fait partie de la nouvelle campagne d’Amnesty International, intitulée #SearchingWithoutFear [« Chercher sans peur] », visant à soutenir les femmes des différents pays des Amériques qui cherchent leurs proches victimes de disparition forcée.

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